Pendant que la France se divisait entre celleux qui regardent l’élection sur un écran et celleux qui s’en abstiennent, le couple de cinéastes Jeanne Frenkel et Cosme Castro nous proposait sur Arte.tv une troisième expérience : regarder des personnages de fiction regardant eux-mêmes l’élection en cours. Ce dispositif de mise en abîme revenait à réaliser, dans l’heure qui précède et les minutes qui suivent l’élection, une fiction cinématographique en direct, diffusée sur le site d’Arte. Au casting, on retrouvait (l’emploi du passé se justifie pour un projet aussi singularisé dans sa temporalité), Julia Faure, Félix Moati et Julien Campani dans les rôles principaux, mais aussi Flavien Berger à la bande originale, jouée elle aussi en live.
Tourné dans une petite commune du Lot-et-Garonne, le film racontait le retour au pays de Félix après des années d’absence, ses retrouvailles avec son ex devenue journaliste, mais surtout avec son frère aîné. Si les frangins partagent la douleur du deuil récent de leur mère, ils ont en revanche des convictions politiques assez opposées. À 19 heures, lorsqu’on s’installe devant notre écran, on se pose deux questions : qu’est-ce que ce dispositif produira-t-il et qu’est-ce que Frenkel et Castro ont-iels à dire sur cette soirée électorale ?
La réponse à la première question est : pas grand chose, si ce n’est une admiration pour la prouesse technique et de coordination que représente la réalisation d’un tel film. Car Jour de Gloire ne se contente pas de quelques plans-séquences soudés entre eux grâce à des fondus au noir. Il comporte des mouvements de caméra assez complexes et variés, comme par exemple ce plan inaugural capturé au drone. Excepté un problème technique de transmission qui figea l’image quelques instants, le film s’est déroulé sans accroc. Et pourtant, ce sont ces accrocs qui en font la saveur, comme le résumait Cosme Castro lors de la conférence de presse du projet. Parce qu’en leur absence, rien ne différencie formellement le film d’une télé-fiction du retour assez moyenne.
Dès lors, le dispositif de Jour de Gloire apparaît comme une entreprise paradoxale. Sa raison d’être ne réside que dans l’enregistrement de l’accident qui viendrait révéler l’ampleur de la prouesse technique, mais son objectif est la dissimulation de toutes ces coutures. En axant le projet sur la mise en scène d’un exploit technique, le film tente de dompter le direct mais lui ôte par là sa plus grande valeur, à savoir sa qualité imprévisible. Que cela soit du sport ou des informations, si le direct captive c’est parce qu’on espère y vivre une acmé à la fois impossible à prédire et à reproduire plus tard. On aurait donc aimé que le film laisse plus de place à l’imprévu. Or, ici, on sent bien ainsi qu’au contraire, tout a été planifié.
Reste le contexte par nature imprévisible de l’élection et ce que le couple de cinéastes aurait à dire là-dessus. Dès les premières minutes et lorsque le personnage de journaliste joué par Julia Faure est remplacé par celui de Kamel, un badaud accompagné de son ânesse qui sera la voix-off aux accents lyriques qui nous contera le film, Frenkel et Castro nous font comprendre – de façon un peu appuyée – que l’austère parole médiatique a été remplacée par celle, merveilleuse, du cinéma. Sauf que malgré une mise en scène trouée de moments de poésie, qu’on trouvera soit joliment naïfs, soit légèrement niais, le film fait le constat d’un réel désenchanté, à commencer par la fracture idéologique entre les deux frères, l’effleurement du traumatisme dû au Covid-19 et surtout l’inexorable ascension de l’extrême droite.
C’est à ce propos que Jour de Gloire est le plus réussi. Dans les minutes qui précèdent l’annonce du résultat de l’élection de 2022, le film compile par d’habiles procédés techniques, l’annonce des quatre élections précédentes. De ce balai de teintes, de mouvements de caméra et de temporalités enchâssées, émerge donc le résultat du présent. Macron a encore gagné. En miroir de notre propre sentiment, on sent le soulagement chez les acteur·trices. Mais derrière le happy end, le film délivre une prédiction plus sombre. Ce que raconte ce flash-back final, c’est 20 ans de montée de l’extrême droite en France. Des 17 % du père Le Pen en 2002, on était passé à 33,9 % pour sa fille en 2017. On est à présent à 41,5 % pour l’extrême droite. Il n’y a vraiment pas de quoi se réjouir.
Jour de Gloire, disponible en replay sur Arte.tv