C’est une production inédite dans l’histoire de la télévision et des élections présidentielles : le tournage et la diffusion ce dimanche 24 avril, entre 19h et 20h05, d’un long-métrage dont la fin dépendra de l’issue du second tour. Ses deux réalisateurs font ce qu’ils appellent du “métacinéma”.
Qui remportera la présidentielle ? Le résultat du scrutin de ce 24 avril sera communiqué - comme de coutume - à 20h par un portrait plein écran du candidat ou de la candidate victorieux(se), à la télévision. Le climat de suspense pour ce rendez-vous médiatique majeur suivi par des millions de Français depuis des décennies est devenu une source d’inspiration pour deux jeunes artistes âgés de 28 et 35 ans : Jeanne Frenkel et Cosme Castro.
Ces auteurs et réalisateurs explorent depuis sept ans un genre de création qu’ils ont eux-mêmes nommé "métacinéma", en le définissant - avec humour - comme un "art consistant à projeter des films en même temps qu’ils sont tournés ou à tourner des films en même temps qu’ils sont projetés."
Après avoir notamment investi l’Opéra Bastille, en 2017, pour le court métrage Adieu Bohème, Jeanne Frenkel et Cosme Castro ont fait le pari fou d’un long métrage intitulé Jour de gloire, tourné et diffusé en direct, le soir du second tour, jusqu’à y intégrer les images de télévision révélant le visage de celui ou celle qui occupera l’Élysée, pendant le prochain quinquennat. Cela va se passer à partir de 19h dans le Lot-et-Garonne, en une seule prise, avec les mêmes risques que ceux du spectacle vivant et avec un volet documentaire par la dimension historique de l’événement collectif.
Jour de Gloire met en scène les retrouvailles de deux frères opposés politiquement, joués par Félix Moati et Julien Campani, dans leur village d’enfance après la mort de leur mère, au moment de cette phase ultime de l'élection présidentielle.
Le film diffusé sur le site arte.tv sera aussi projeté en simultanée dans une trentaine de cinémas en France.
Jour de gloire est pour Jeanne Frenkel une étape importante d’une recherche cinématographique créative et de son rapport avec le temps : "Cela fait plusieurs années que nous faisons des films de cette manière-là, des fictions que nous tournons en live. Et nous voulions vraiment parvenir à faire entrer le réel dans la fiction, qu’il y ait un repère temporel dans nos productions qui soit bien identifié, qu’on soit bien ancré dans le réel."
Cosme Castro ajoute la volonté aussi de "raconter une petite histoire dans la grande histoire", entre 19h et 20h, avant l’annonce de celui ou celle qui remportera la présidentielle : "Une parenthèse au moment où les chaînes d’information tournent en boucle sans rien pouvoir dire, au moment où la France est un peu cristallisée, suspendue au résultat. Ce résultat de l’élection sera la fin du film. Nos personnages le découvriront en même temps que les spectateurs et réagiront en fonction de ce résultat." Pendant tout le long métrage, l’élection présidentielle va être "une sorte de météo, la toile de fond. C’est elle qui va donner le rythme, qui va ponctuer tout le récit. C’est l’électricité du film sur les retrouvailles de deux frères qui ont perdu leur mère et avec lesquels on retraverse leur histoire et tous leurs souvenirs.”
Le scénario dont la composition a débuté il y a plusieurs mois s’est affiné depuis les résultats du premier tour, comme l’explique Cosme Castro : "Nous n’étions pas complètement sûrs des deux candidats finalistes. Il y avait des zones d’attente. Mais nous savions sur quelles parties du scénario, nous allions pouvoir rebondir, les parties prêtes à être étudiées."
De 70% avant le 10 avril, la partie écrite du film est passée à 85%.
Le résultat du second tour, les conditions météorologiques le jour du tournage en extérieur... toute la part d’inconnu est perçue comme une composante du processus créatif pour Cosme Castro : "Il y a plein de choses qui vont s’ajouter au récit, qui vont s’injecter dans l’histoire. La part d’inconnu fait partie de nos projets de métacinéma. Nous aimons la côtoyer. Nous allons la maitriser mais aussi l’attendre. On est là pour se frotter au réel."
Jour de gloire sera "à 99%" un long plan séquence d’un peu plus d’une heure, sans que la caméra suivant les personnages ne les quitte à aucun moment. "Leur trajectoire dans le village", tel que le détaille Cosme Castro, "sur une route de campagne, à la mairie, dans un bar, sur un parvis, dans une maison... comme un serpent vu du ciel, tout ce parcours-là dans le village, on va le faire sans couper la caméra. C’est le dispositif qu’on utilise pour faire du métacinéma. Tout le monde est dépendant de tout le monde. Il n’y a pas de hiérarchie. Il n’y a pas d’échelle. Le perchman est aussi important que le comédien qui entre dans le champ."
Chaque séquence est évidemment aussi minutée précisément pour que les acteurs soient bien à 20h devant la télévision pour découvrir le visage de celui ou celle qui remportera la présidentielle. "Il y a donc très peu de place à l’improvisation" remarque Cosme Castro, afin de réussir ce défi : "Il y a tout un travail pour le chorégraphier. Cela réclame beaucoup de répétitions. Quelquefois, nous prenons plus de temps, ou au contraire moins de temps. Il y a tout ce réglage à faire entre la technique, les comédiens, les gens en talkie-walkie ou en oreillettes pour conduire cela. À ce niveau-là, on peut même parler d’orchestration, du tournage à la projection. C’est une nouvelle façon de penser et de diffuser du cinéma.”
L’idée d’inscrire le film au soir du second tour de la présidentielle n’est pas venue immédiatement. Le duo de réalisateurs a été invité l’an dernier à une résidence d’écriture dans le Lot-et-Garonne, selon une proposition qui lui avait été faite de fabriquer sur place un film en direct, en s’imprégnant des lieux du département. Dans le cadre d'un "très très petit projet" au départ, ils ont trouvé le village (dont ils préfèrent taire le nom jusqu'au dernier moment afin de rester discrets) pour le tournage et construit une ébauche de l’histoire des retrouvailles des deux frères, en cherchant à l’intégrer au mieux dans le réel, en 2022. “Nous avons d'abord pensé à un événement sportif, la coupe du monde de football ou un match de rugby à Agen”, raconte Cosme Castro, avant de trancher pour le soir du 24 avril : "Pour que le spectateur puisse comprendre parfaitement que ce qu’il est train de regarder, c’est du direct, nous nous sommes rendu compte que ce temps-là, tout le monde pouvait le repérer et que tout le mo
Avec le déploiement d’antennes 4G tout au long du parcours des acteurs, le projet de “métacinéma” pendant 1h05 dans le village du Lot-et-Garonne mobilise une soixantaine de techniciens. Il faut "des moyens costauds !", s’exclame Cosme Castro, puisque "tout est fait en même temps." Toutes les composantes du système de production du cinéma sont en effet réunies le temps du tournage, souligne-t-il : "Le fait de le faire en live, cela nécessite que les comédiens jouent, qu’ils soient filmés, que le plan séquence soit monté, mixé et étalonné. La musique est réalisée aussi en direct, tout comme la diffusion sur internet et dans des salles de cinéma. Cela implique beaucoup de techniciens, mais aussi des exploitants, des diffuseurs... tous ces gens-là sont réunis au même moment pour faire leur travail."
Comme la création musicale du compositeur Flavien Berger, déjà partenaire de leurs précédents projets, des retours dans le passé, des souvenirs de soirées électorales, ajoute Jeanne Frenkel, seront également tournés en direct : "Ce sont des moments précis qui restent gravés dans nos mémoires. Il y a cette idée au départ dans notre scénario. Le film raconte cela avec des flashbacks en live. On retourne dans le temps. On retourne dans toutes les élections que les deux frères ont vécues, depuis 1995. C’est un repère temporel où on voit notre vie défiler aussi. Le film se sert de ce rythme des élections présidentielles, loin de la capitale, pour évoquer leur mélancolie sur un monde, celui de leur enfance qui n’existe plus, un monde qui s’est transformé. Leur vision du monde aussi a changé. Ils ont des visions du monde opposées qui rejoignent des visions politiques. Ils les confrontent, ils les partagent sans être ni l’un ni l’autre partisan d’un parti ou d’un candidat.”
Une séquence montrera le dépouillement, le vrai dépouillement ce dimanche soir dans le bureau de vote du village choisi pour le film, avec une portée documentaire, selon elle : "Nous allons graver un moment d’histoire quoi qu’il arrive. Ce sont toujours des changements de chapitres, des bascules temporelles ces moments-là. En filmant en extérieur, en filmant un village, on filme les voitures, on filme comment les gens sont habillés... c’est un témoignage assez vif et assez brut, tout en étant une fiction, selon un scénario de cinéma très écrit. C’est la fusion de ces deux choses-là qui nous passionnent."
Ce projet inédit dans l’histoire des élections présidentielles est même considéré comme "une mission" par Jeanne Frenkel : “Dans ce moment dur qu’on traverse aujourd’hui, nous sommes là pour expérimenter, pour essayer de créer de la poésie et mettre un filtre de beauté sur la vie. Le métacinéma, c’est une nouvelle façon de penser les outils de notre génération. Nous sommes toujours à la recherche de nouvelles technologies. Les gens avec lesquels nous travaillons inventent presque de nouvelles machines. Il y a tout déploiement de cerveau et de technicité. Mais le métaciména est aussi pour nous une réflexion face à la profusion d’images sur les écrans. Nous essayons de voir comment rendre précieux la manière dont on regarde le monde.”
À 20h, les acteurs de Jour de gloire découvriront en direct à la télévision l'issue du second tour. Toutes les options ont été étudiées, pour leurs réactions selon les convictions politiques de chacun des personnages en fonction du résultat, y compris en cas d’incertitude, en cas d’un éventuel 50/50...
Sources: https://www.radiofrance.fr/