Jérôme Caza
Gilles Chappaz
France 3
2024
52'
Franck Piccard
Jérémie Chenal
Avec la voix du champion olympique Franck Piccard, Il était une fois le ski retrace un siècle de ski en France, de ses débuts modestes à son rôle clé dans l’économie des montagnes, tout en explorant les exploits des grands champions et les défis actuels posés par le changement climatique.
Il était une fois deux planches de bois qui permettaient naguère aux chasseurs scandinaves de poursuivre le gibier et aux militaires de rejoindre le front.
À la fin des années 20, les montagnards français commencent à se familiariser avec les copies à peine améliorées de ces « skis » primitifs. Ils s’en servent de façon utilitaire (aller d’une ferme à l’autre par exemple, porter le courrier ou aller soigner des malades bloqués par la neige) et ludique. Les jeux sont simples : c’est à celui ou celle qui bondira le mieux, fera la plus belle trace directe, trouvera la meilleure recette pour s’arrêter, ou se montrera le plus débrouillard. Ainsi, le saut sur des monticules de neige, les balades en forêt ou le ski-joering (divertissement qui consiste à se faire tracter par un cheval, une motocyclette ou une voiture) font des émules. Plus haut, plus loin, plus vite. À Chamonix, on organise même des courses de garçons de café à skis ! Bref, le ski se cherche…
Le vrai envol sera possible grâce à la « révolution du câble » : simultanément, des esprits malins mettent au point des fixations qui maintiennent le talon et le pied solidaire au ski grâce à de petits câbles (tenir les skis en schuss et en virage devient plus facile) tandis que d’autres génies des alpages s’inspirent des techniques de débardage de bois pour « exploiter » la technologie du câble et créer les remonte-pentes. Si les premières installations sont plutôt sommaires et bricolées (corde tirée par des bœufs, luges tractées par des chevaux), très vite on construit des téléphériques uniquement dédiés au skieurs (Megève, 1933) et des premiers téléskis (1934, Col de Porte, Alpe d’Huez). Dès lors on peut remonter la pente, pour apprendre à la descendre plus facilement et plus souvent, et on peut le faire avec des skis qui tiennent aux pieds : le ski alpin, c’est chouette !
La neige n’est plus vue comme un obstacle qui complique la vie montagnarde mais comme une matière première ludique.
La création de la Fédération Française de Ski en 1924 arrive à point pour structurer cette nouvelle activité, dans la foulée la même année des premiers Jeux Olympiques d’hiver à Chamonix.
À partir du tout début des années 30 - mais en a-t-on conscience alors ? - , le ski alpin change de tout au tout le visage de la montagne. Les dirigeants de la FFS se persuadent alors qu’il porte en lui les germes d’une activité sportive prometteuse. Leur position est sans ambiguïté : « Qu’on le veuille ou non, le ski de descente à skis va attirer la grande foule vers la neige et faire de nouveaux et de nombreux adeptes … Elle présente un intérêt de tout premier ordre ». En regroupant, les meilleurs jeunes pionniers, ils décident de créer une Équipe de France de ski et d’en faire l’étendard de leur sport.
C’est d’ailleurs par la compétition que le ski va sortir de son anonymat.
En 1936, le ski alpin fait en effet son apparition aux JO de Garmisch-Partenkirchen, qui servent la propagande hitlérienne et connaissent un énorme succès populaire. Et Émile Allais, solide gaillard de Megève et pionnier de la première heure, y remporte la première médaille olympique d’un skieur français et se fait même remarquer en restant droit comme un I sur le podium, alors que ses compagnons de médailles font le salut nazi.
Mais ce sont les premiers Championnats du monde de ski organisés en France (en 1937 à Chamonix) qui créent le véritable déclic.
Les Français dominent les compétitions. Émile Allais, encore lui, les gagne toutes : la descente, le slalom, le combiné ! Pour la première fois, la presse grand public (L’illustration) met le ski à la une et vante « un savoir-skier à la française ». Le cinéaste Marcel Ichac immortalise l’instant : ses images font le tour de France.
Pour ces succès historiques, Émile Allais ne reçoit qu’un appareil photo, mais il devient le porte-drapeau de « ce sport nouveau » qui, selon Léo Lagrange - sous-secrétaire d’État aux Sports et aux Loisirs dans le gouvernement Blum, est « destiné à tous ».
Ira-t-on un jour à la neige comme on va à la mer ?
Fort de sa nouvelle notoriété, Émile Allais concocte - avec l’aide de deux dirigeants visionnaires, Georges Blanchon et Paul Gignoux -un ouvrage de référence qui définit la bonne technique pour bien skier et la bonne méthode pour l’acquérir. Il les appelle « Ski Français ». Allais décortique en image toute la progression pour que chacun, débutant ou skieur déjà débrouillé, devienne un jour « un skieur toute neige, tout terrain ». Le champion est ici l’indispensable « explorateur » de la glisse ! Avec un message simple : le ski, c’est le sentiment de la liberté et l’amour du jeu, c’est un condensé de sensations et d’émotions, c’est un peu son enfance qui ne veut pas mourir.
Dans ces années de défrichage, les massifs et les alpages se transforment en terrain de jeux et les villages se métamorphosent en stations de ski. On plante des remontées mécaniques, trace des pistes, crée une technologie plus performante et forme les premiers moniteurs.
La deuxième guerre mondiale va freiner l’élan, sans jamais casser l’évolution en marche. La formation « d’une jeunesse physiquement forte et moralement saine » devenant l’une des priorités de l’État français, le gouvernement de Vichy favorise même le développement des sports de montagne, cadre idéal pour endurcir « une élite capable d’entraîner la société tout entière dans le vaste programme de la Révolution nationale… ».
Issu de cette formation, un homme va symboliser l’émergence d’un « ski à la française ». Il s’appelle Henri Oreiller. En 1948, il triomphe à Saint-Moritz (Suisse) : il est le premier champion olympique français. Au moment de partir, il dit dans un sourire : « La victoire ou l’hôpital ! ».
Oreiller est tout un symbole. Lui qui a grandi au cul des vaches, s’est formé au ski pendant la guerre dans les troupes de montagne (qui résisteront à l’envahisseur sur les terrains d’altitude), et skie au naturel avec un goût atavique pour l’engagement vient d’un village de montagne inconnu, perdu au fin fond de la Tarentaise : Val d’Isère. Aujourd’hui, le Val d’Oreiller est devenu l’une des plus grandes stations du monde qui a bâti sa réputation sur ses champions et construit son développement à partir de la compétition : après Oreiller, il y aura en effet les sœurs Goitschel, Killy, et récemment Clément Noël, tous champions olympiques, et la station accueillera les Jeux Olympiques de 1992 et les Championnats du Monde de 2009.
Stimulé par l’exemple d’Allais, d’Oreiller et de l’Équipe de France, toute une jeunesse montagnarde va se tourner vers le ski, avec l’ambition de devenir championne à son tour, ou pour le moins, avec le désir de rester au pays en embrassant des carrières de moins en moins confidentielles : moniteurs de ski, techniciens de remontée mécaniques, pisteurs, commerçants d’articles de sport, etc.
Dans l’élan des Trente Glorieuses et du Plan Marshall, une noble « paysannerie de la neige » se constitue ; et une « industrie de la neige » se met en place qui se substitue progressivement aux activités agro-pastorales et aux industries de fond de vallée pour sauver les massifs français d’un exode programmé.
Les décennies qui vont suivre s’appuieront sur les fondations ainsi posées. Le ski « made in France » s’imposera sur l’échiquier international. Avec une réussite économique, sportive ou sociétale indéniable.
Mais aujourd’hui que le réchauffement climatique prive les stations de leur matière première (la neige !), force est de constater que l’équilibre patiemment établi est menacé et que le tourisme hivernal va devoir se réinventer. Une nouvelle mutation ?
C’est précisément cette métamorphose permanente du monde d’en-haut depuis un siècle que nous avons l’ambition de (re)visiter, métamorphose qui s’appuie historiquement sur les évolutions nées du ski de haut-niveau, véritable accélérateur de progrès.